Alors, ils en sont où les Japonais ?

Installé dans le salon, Perceval a allumé la télé en disant comme tout le monde : « Alors, ils en sont où les Japonais ? »  Et si, loin du jugement moral, nous parlions du rapport aux images avec nos enfants ?

Au pays du jeu vidéo, nos écrans – tous nos écrans sur toute la planète – se sont saturés d’un coup des images les plus choquantes qui soit : la nature en son réel. Visions d’apocalypse, presque inatteignables à la compréhension humaine. En miroir des catastrophes, une invasion d’images a fait écho.

Cette extrapolation vertigineuse qui dépasse notre imagination est renforcée par le passage en boucle d’extraits vidéo : là s’emboîtent et se superposent des prises de vue de témoins, de rescapés, d’images professionnelles de télé, de graphiques et de cartographies d’un monde broyé ou effacé.

Au pays du Levant, si imprégné de la symbolique des éléments, la terre ouverte, l’eau meurtrière, le feu nucléaire fusant, l’air propagateur de nuages toxiques se déchaînent en direct live. Les lois de la pesanteur elles-mêmes sont défiées sous nos yeux. Trains, avions, maisons, navires sont soulevés, propulsés hors de leur contexte comme des jouets en plastique. Des jouets pour ainsi dire… virtuels. Fatale, inexorable, la vague comme un fauve développe une télégénie fascinante.

Les échelles pivotent sur elles-mêmes, le drame humain est balayé de notre vue. Les premières heures, nous avons peu perçu de rescapés, tant l’ensevelissement des êtres fut immédiat ; L’homme, les animaux, la flore semblaient microscopiques dans ce déluge. Cet enfouissement des êtres, nous le pressentons, n’annule en rien la conscience de la perte. Nous regardons nos écrans et nous ne les voyons pas. Nous ne les voyons pas.

Perceval a dit : « Alors, ils en sont où les Japonais ? » comme le font les adultes autour de lui. Comme tout le monde, avec la même constance que lors des matches Federer/Nadal. « Ils en sont où ? ». « Troisième set. Avantage pour Nadal ».

Mon cher Perceval…

Alors, on s’assoit avec Perceval et l’on tente de dessiner un peu de perspective. Un tout petit peu, face aux écrans plats. A commencer par la forme. « S’il te plaît, regarde : ils en sont nulle part, les Japonais. C’est pour de vrai. Je ne dis pas ça pour t’embêter mais pour que tu ressentes un peu ce distinguo fondamental entre le « comme si » de ton écran de Nintendo DS et ce que nous voyons là ». Personne là-bas n’a de bouton « Reset » pour annuler la partie mal engagée. Ensuite, ce sont des personnes qui étaient comme toi et moi dans leur salon, à l’école, au travail. Des enfants et des parents ou grands parents avalés par les phénomènes.

Oui, pour nous, à 10.000 kms, c’est que de l’image. Mais à la différence de tes défis sur Naruto, ici, nous avons à développer un élan du cœur, de l’empathie, de la compassion. Et demain, sans doute agir selon nos moyens pour aider la reconstruction du Japon… et des usines Nintendo… et des bureaux pour les mangakas. C’est pas gnan-gnan. C’est le réel. »

Perceval a écouté, songeur, en passant l’index sur les touches de la télé commande. Il est allé chercher son ordi, a lancé Youtube et m’a dit : « J’ai pigé. C’est vrai, tu as raison. Je vais éviter le « Ils en sont où les Japonais ? ». Promis. Mais regarde, çà. Cela s’appelle Tokyo Magnitude 8. C’est un dessin animé super bien. Il a raconté ce qu’on voit maintenant en vrai. T’appelles ça comment, toi… de la fiction qui prédit le réel ? ». J’avais peu de réponses, tant sa question était riche. J’ai juste pensé : magnitude 8… le réel fait pire encore.

J’avais imposé ce modeste constat du réel à Perceval. C’est donc bien volontiers que j’ai plongé, pour une fois, dans son univers fictionnel. Et j’ai vu ça :

TOKYO MAGNITUDE 8

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